De Leucate à Saint-Raphaël, juillet 2020 a été marqué par une série de morsures sur les côtes méditerranéennes françaises. Le premier suspect : le baliste commun ou cochon de mer. Loin d’être un grand habitué de la côte d’Azur, il reste mal connu en France.
Pourtant, le baliste jouit d’une notoriété importante dans de nombreux pays, comme le Mexique, les États-Unis, le Ghana ou le Brésil. Initialement très courant dans les eaux tropicales et tempérées de l’océan Atlantique, ce poisson coriace a vu ses populations chuter drastiquement depuis 30 ans, dans l’ombre, comme tant d’autres…
Qui sont les balistes ?
Chez les balistes, on retrouve un condensé de tous les coloris caractéristiques des poissons marins. On passe des couleurs ternes et discrètes des zones tempérées à l’explosion de motifs et de reflets flashy des zones tropicales.
Ces poissons, appelés « poisson gâchette » en anglais, sont facilement reconnaissables à leur corps ovale compressé. La tête est grande avec une petite bouche mais les apparences sont trompeuses. Cette dernière contient une mâchoire puissante munie de petites dents utilisées pour écraser les coquilles des crustacés et des mollusques.
Les balistes, peut-être conscients de cet atout face à la concurrence, sont pour la plupart devenus de véritables caïds des récifs. Territoriaux et combatifs, peu d’espèces viennent leur chercher des poux (de mer).
L’espèce la plus réputée pour son agressivité est le baliste titan, un habitant des récifs coralliens de la zone Indo-Pacifique. Ce poisson collectionne les anecdotes de morsures, masques brisés et autres déconvenues chez les plongeurs de la région. Mieux que le faux dicton « avoir une mémoire de poisson rouge », en 2020, l’expression à la mode pourrait être « en imposer comme un baliste titan ».
Balistes capriscus, un grand voyageur curieux…
Mais revenons à notre potentiel agresseur agressé de Méditerranée. Outre les grandes distances réalisées par les adultes, en particulier pendant la période de reproduction, c’est chez les jeunes qu’un phénomène tout à fait exceptionnel a lieu.
Une fois nés, les alevins sont emportés par les courants marins. On dit qu’ils sont pélagiques. Ça n’a rien de rare chez les poissons marins, c’est même le lot de la grande majorité des espèces.
Cependant, contrairement aux autres espèces qui retournent rapidement grandir dans les herbiers et coraux à faible profondeur, les jeunes balistes mènent une existence nomade pendant 4 à 7 mois. Ils s’abritent alors dans des algues brunes dérivantes en pleine mer. Voilà qui a de quoi se forger le caractère !
… Mais aussi protecteur et capricieux
Après un à deux ans, le baliste atteint sa majorité sexuelle. Après avoir mené une vie d’aventures, l’heure est venue de créer un foyer. Comme chez les hippocampes ou les blennies , les balistes fraient en couple.
La femelle réalise un nid dans le sable et s’occupe des œufs, tandis que le mâle protège ardemment sa future descendance. C’est dans ce contexte, et uniquement pour le bien de son clan, que les balistes présents en Méditerranée peuvent infliger des blessures à un intrus trop peu consciencieux.
Un met de choix qui l’a conduit à la raréfaction
Comme de nombreux êtres humains, les balistes raffolent de fruits de mer (huîtres, crabes, crevettes…). C’est peut-être ce qui a mené les pêcheurs à s’intéresser et commercialiser ces poissons, longtemps attrapés comme prises accessoires.
La pêche intensive au baliste a commencé autour des années 60 avant de s’accroitre tout au long du XXe siècle. Elle a atteint son pic entre 1980 et 1990 dans le golfe du Mexique et dans celui de Guinée, puis entre 1990 et 2000 sur les côtes brésiliennes. Après chaque pic, un effondrement drastique des populations s’en est ensuivi. Ces dernières peinent à s’en remettre même dans les régions ayant tenté de durcir leur législation.
Aujourd’hui, le baliste est considéré comme vulnérable par les instances scientifiques (IUCN). Ce formidable voyageur pourrait s’éteindre totalement dans plusieurs régions.
Pour ces raisons, mais aussi parce qu’il est autochtone d’une partie de la Méditerranée et de nos côtes océaniques, nous invitons à relâcher tous ces courageux poissons, centraux pour l’équilibre de nombreux écosystèmes.
Quel avenir pour le baliste commun ?
Malgré les alertes répétées d’une partie des scientifiques et plongeurs, en particulier dans la zone des Caraïbes, les balistes sont toujours ciblés par la pêche industrielle et la pêche de loisir, sans restriction ni législation.
Comme les saumons, les anguilles ou les thons, des espèces comme le baliste, peu connues, se raréfient, emportant avec elles la magie de leurs histoires.
Photographies – Bannières
Baliste commun (zoom) © Kevin Bryant
Baliste commun © Kevin Bryant
- BALISTIDAE - Triggerfishes - K. Matsuura - FAO Fisheries Synopsis - 0.
- A new maximum length for the grey triggerfish, Balistes capriscus Gmelin, 1789 (pisces: Balistidae) from the Adriatic Sea - Dulčić Jakov - Alen Soldo - INSTITUTE OF OCEANOGRAPHYAND FISHERIES - SPLIT CROATIA - 2005.
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A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.