Plat du pauvre au Moyen Âge, le saumon constitue un mets de choix durant les fêtes. Mais quel saumon se retrouve dans vos assiettes ? Avec l’essor de la salmoniculture, peu de chance d’y trouver un saumon sauvage, adepte des grands espaces.
La salmoniculture consiste à élever des saumons dans des « fermes », des bassins fermés dans la mer. Balbutiante dans les années 1960 quand elle est créée en Norvège, elle a depuis connu une importante intensification. La salmoniculture doit cette expansion aux avancées technologiques et à la forte demande de saumons dans les pays industrialisés.
A tel point qu’aujourd’hui 97% des saumons pêchés proviennent de l’élevage.
Le cas norvégien
Principal producteur mondial de saumon d’élevage, la Norvège est le symbole de cette expansion avec une production qui a été multipliée par vingt en trente ans.
Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : de 1,3 millions de tonnes produites actuellement, le pays des fjords veut atteindre les 7 millions de tonnes en 2050, soit une multiplication par cinq.
Saumon sauvage / saumon d’élevage
La salmoniculture est une industrie si florissante que le pays compte aujourd’hui 400 millions de saumons d’élevage contre seulement 500 000 saumons sauvages. Saumon sauvage qui voit son nombre diminuer d’année en année, au point d’être aujourd’hui en voie de disparition.
En cause ? Les activités humaines : surpêche, changement climatique, perte d’habitats et propagation de maladies en provenance des fermes aquacoles. Car si ces fermes produisent en quantité pour satisfaire les envies de saumon dans le monde entier, ça ne se fait pas sans dégât.
Étrange orange
Le saumon d’élevage grandit deux fois plus vite que le sauvage et atteint les cinq kilos en seulement trois ans. Pour assurer cette croissance rapide, ils sont généralement nourris avec des préparations industrielles à base de farine et d’huile de poisson.
Mais ce n’est pas tout.
Le saumon présent dans les assiettes n’a pas cette belle couleur orangée à l’origine. Les industriels intègrent dans son alimentation des additifs alimentaires comme la canthaxanthine ou l’astaxanthine de synthèse qui donnent une chair de saumon plus éclatante que celle gris-rosée du saumon sauvage qui vient de son alimentation en petites crevettes et petits poissons.
L’essentiel est de faire illusion.
Poux de mer
La multiplication des fermes aquacoles par les industriels a multiplié la présence du pou de mer, un parasite qui se fixe sur la peau des saumons et les épuisent. Une dizaine de poux peuvent par exemple tuer un saumon de petite taille. Le grand nombre de poissons que le pou de mer retrouve dans les bassins des fermes est donc pour lui un immense buffet à volonté où il peut se reproduire en toute tranquillité. En passant à proximité des fermes, le saumon sauvage est la principale victime de ces poux puisqu’il ne gobe pas de médicaments pour lutter contre eux. Dans certaines zones de productions particulièrement intenses, il a même disparu.
Pollution génétique
Le pou de mer n’est pas la seule menace que les saumons d’élevage font peser sur les saumons sauvages. Le saumon sauvage possède une grande diversité génétique. Tout l’inverse du saumon d’élevage dont le patrimoine s’appauvrit à cause des industriels qui opèrent des sélections drastiques afin de pouvoir produire le plus grand nombre de poissons en un minimum de temps.
Or de nombreux saumons d’élevage s’échappent de leurs fermes et viennent peupler les habitats alentours. Ils menacent ainsi la survie du saumon sauvage et à terme, la sienne. En s’accouplant, non seulement les saumons sauvages sont de plus en plus victimes des maladies qui touchent les poissons d’élevage mais surtout, la diversité génétique s’effondre. Après avoir causé la disparition de leurs homologues, les saumons d’élevage pourraient ensuite avoir beaucoup de mal à s’adapter à des changements environnementaux futurs. Une augmentation rapide de la température des océans pourrait par exemple les mener vers leur extinction.
Saumon transgénique
En novembre 2015, aux Etats-Unis, l’Agence fédérale des médicaments et de l’alimentation (FDA) avait autorisé la consommation de saumon génétiquement modifié. La nouvelle avait provoqué un tel tollé auprès de nombreuses associations de consommateurs qu’à peine deux mois plus tard, la FDA avait fait volte-face et suspendu son autorisation.
Ce qui nous amène en novembre 2020.
La cour fédérale de Californie a déclaré illégale la mise sur le marché de ce saumon transgénique. Elle a jugé que la FDA avait violé des lois environnementales majeures en l’autorisant. Une décision accueillit avec soulagement par Steve Mashuda, l’avocat d’Earthjustice, une des associations environnementales s’étant constituée partie civile : « Nos efforts devraient se concentrer sur la sauvegarde de la population de saumons sauvages que nous avons déjà, non sur la création d’une nouvelle espèce qui amènerait encore une autre menace. »
Comme quoi 2020 n’aura pas apporté que des mauvaises nouvelles.
Sources
Nature’s Subsidies to Shrimp and Salmon Farming
Future seascapes, fishing, and fish farming
Documentaire Le saumon, un bon filon d’Albert Knechtel
Un saumon transgénique autorisé à la consommation aux Etats-Unis
La FDA suspend son autorisation de saumon transgénique
Le saumon transgénique en Californie
WWF, SAUMONS : BAROUDEURS EN DÉROUTE
Image de couverture © e-Ken
A propos de l'auteur
Ancien journaliste, Nans Gourgousse est désormais un auteur et podcasteur vivant à Paris. Ses thèmes de prédilection sont l'environnement, la consommation d'énergie et les pistes pour réussir à mieux vivre en consommant moins. En plus de la rédaction d'articles, il est en charge de la communication sur les réseaux sociaux de Fishipedia.